Racontées par Alain Rey, l'un des principaux créateurs des dictionnaires le Robert.

Avoir la Berlue

Racontées par Alain Rey, l'un des principaux créateurs des dictionnaires le Robert.

Ecrit par l'Ordissinaute Laurent Lacaille - 1

Madame de Sévigné annonce un jour à son cousin

Monsieur de Coulanges : « La chose la plus étonnante,
la plus surprenante, la plus merveilleuse, la plus triomphante,
la plus étourdissante, la plus inouïe... ; une chose enfin
qui se fera dimanche, où ceux qui la verront croiront avoir la berlue. »

Cette chose, c'est le mariage au Louvre de la Grande Mademoiselle,
cousine du Roi, avec le Duc de Lauzun, courtisan ambitieux
et sans scrupules .

Au-delà du carnet mondain de l'an 1670, on voit bien
qu'"avoir la berlue" va plus loin que "ne pas en croire ses
yeux".
On a oublié cette berlue, variante de bellue qui
désignait au Moyen Âge une fable, un discours merveilleux
et trompeur.
Le mot réapparaît au XVIe siècle en médecine.
On se plaignait alors de la berlue lorsqu'on était victime
de troubles de la vue déformant la réalité ou faisant
apparaître des mirages.

Il y a tant d'hypothèses savantes sur l'origine du mot
qu'on en a la berlue : berlue pourrait provenir d'un ancien
verbe, belluer, "éblouir, duper" mystérieux et où se cache
peut-être la lumière, lux en latin. Ce dont on est sûr, c'est
que "berlue" est à l'origine d'un mot bien connu, éberlué,
synonyme d'ébahi et de stupéfait.
On peut regretter
l'oubli d'une autre expression, "avoir la berlue pour quelqu'un" ,
"être ébloui par quelqu'un, en être épris".

Toujours est-il que Madame de Sévigné, au lieu d'avoir
la berlue, est finalement "tombée du haut des nues"
,car l'ambitieux Duc de Lauzun n'épousa pas Mademoiselle
de Montpensier, sur interdiction formelle de Sa Majesté
Louis XIV.