Comment les anges firent les nations
Un jour, Dieu s'ennuyait au vaste paradis,
Il se reposait, las les membres engourdis.
Les anges l'entouraient, le voilant de leur robe
Et Dieu leur dit:"Prenez ce qu'on voit sur le globe
Et de tous ces objets rassemblés par vos mains
Faites des nations qui peuplent le chemin.
...L'un d'eux, à l'instant, prend un sac de voyage
Il y met des vapeurs, du brouillard, un nuage,
Un lingot d'or qu'il cache au milieu du charbon,
Une voile, une rame, un sabot d'étalon;
Puis, avisant d'en haut une île sur la terre,
Il y jette le tout et dit"C'est l'ANGLETERRE !".
Dans une peau de bouc, presque pleine de vent,
Un autre met d'abord, pêle-mêle, en rêvant,
Un éventail d'ivoire, un pépin de grenade,
Les cornes d'un taureau, la robe d'un alcade,
Un soulier de satin, un manteau de velours
Un tambourin de basque, une mante de cour.
Puis quand l'outre est gonflée et se prétend montagne
Il la jette à terre en disant"C'est l'ESPAGNE!)
...Un troisième alors prend un masque d'arlequin,
Du marbre, des couleurs, un pinceau, un burin,
Un poignard, une tierce, un soupir de poète,
Les laves d'un volcan, un gosier de fauvette,
Un oeil de signora plus agaçant que pur,
Un canon d'escopette, un coin de ciel d'azur
Il en forme un faisceau qu'avec grand soin il lie
Et le faisant tomber, il dit "C'est l'ITALIE!".
...Avec un bloc de neige endurci par les froids,
Un autre met encore une épée, une croix,
Une icône dorée, un traineau, une gerbe
D'épis mùrs et pressés, rutilante et superbe.
Il rassemble cela d'un geste de semeur
L'entoure d'un grand noeud, ainsi qu'un moissonneur
Puis élève le tout dans la brume épaissie
Et le lance à la terre en criant:"La RUSSIE!)
...Un autre prit alors, actif et diligent,
Des fils, de la dentelle, une chasse d'argent,
Un vieux tableau de maître, un bonnet de béguine
Et liant ces objets d'une branche d'épine,
Il ploya le genou devant le créateur:
"De tout ce que j'ai là,que faire donc, Seigneur?"
Le Très-Haut qui rêvait prit son sceptre magique
Et dit ces simples mots"Ave, c'est la BELGIQUE!".
...Mais un mauvais ange dont je tairai le nom
Vint à passer, alors, saisissant un canon
Un tonneau de choucroute, un grand baril de bière,
Un uniforme, un casque et puis une étrivière,
Il entasse le tout comme une boule en rond
Et lançant dans l'espace un terrible juron,
Montrant du doigt le sol que prendra Charlemagne
Il cria:"Pour un temps, c'est L'ALLEMAGNE".
...Le Seigneur attendait...Quand un beau séraphin
Prit un coeur de lion, un glaive d'acier fin,
Le soc d'une charrue, un aiguillon, un livre,
Un rire, peut-être une larme va suivre,
Le baiser d'une mère, un rayon de soleil,
Une rose des cieux, un grain de blé vermeil,
Un rameau de laurier, un raisin de vendange,
Et la corde d'argent à la lyre d'un ange;
Puis, attachant le tout avec une faveur,
Il s'incline en disant:"Bon, puissant Seigneur,
Je sais bien que mon oeuvre, hélas, est incomplête
Il ne lui manque plus pour la rendre parfaite
Qu'un sourire de Dieu".
Dieu sourit!
Son sourire éclaira le Saint Lieu.
Le séraphin, ému de tant de bienveillance
Ouvrit sa main féconde et dit: ?
"Voilà LA FRANCE!".