Naissance d'un dicton
Je situe mon histoire dans la forêt des Landes (en Gascon Las Lanas) pour deux raisons. La première, pour l'adéquation de la végétation en ce début de printemps ; la seconde, en remerciements à tous ceux qui ont œuvré pour que renaisse ce magnifique domaine, frappé de divers fléaux.
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En ce début d'avril, une maman demande à sa fillette d'aller apporter à sa grand-mère, malade, qui habite de l'autre côté de la forêt, quelques galettes et un pot de beurre.
La petite fille, belle comme un ange et espiègle comme un petit lutin, revêt sa cape rouge et s'en va sautillant, gambadant tel un faon, emprunter le sentier qui s'enfonce dans les bois. Les frondaisons, en regain de verdure, filtrent les rayons mordorés d'un soleil encore timide. Les jeannettes et le muguet précoces exhalent des senteurs enivrantes.
Chemin faisant, elle aperçoit, derrière un bosquet, un loup sans doute venu des proches Pyrénées, égaré en ces lieux, gisant sur le côté, visiblement mal en point.
Négligeant toute prudence, n'écoutant que son cœur et son courage, elle s'approche de l'animal et constate une blessure au flanc.
Sans doute quelques chasseurs non respectueux de la faune.
Elle le soigne comme elle peut, lui fait manger des galettes et du beurre tout en le caressant dans le sens du poil.
Petit à petit, l'animal reprend conscience et forces.
En vacillant, il se dresse bientôt sur ses quatre pattes ; il se rétabli lentement, prêt à repartir à l'aventure ; il remercie la fillette et lui demande :
" - Où allais-tu de ce pas ?
- Porter des galettes et un pot de beurre - du moins ce qu'il en reste maintenant - à ma grand-mère qui est malade.
- Où habite ta grand-mère ?
- À l'orée du bois. "
Le loup, d'instinct, sent l'occasion d'un bon repas. Définitivement remis, il quitte précipitamment notre mignonne et bondit vers la maison.
Arrivé, il trouve porte close. Il tambourine et entend une voix faible lui énoncer :
" - Tire la chevillette et la bobinette cherra ! " (*), ce qu'il fait, et la porte s'ouvre. Allongée sur son lit, une dame âgée, squelettique, ses yeux lui dévorant déjà le visage :
" - Le repas sera moins abondant qu'espéré..." La faim le tenaillant, il décide de mettre en oeuvre son funèbre dessein.
La gamine, entre-temps, est arrivée et reste pétrifiée, pressentant le drame.
Dans un premier temps, le loup se dit " - Quelle aubaine ! D'une pierre deux coups, beaucoup plus à manger ! "
Mais même chez les loups, un code d'honneur existe. Se souvenant que le bienfait est le supplice de l'ingrat, il laisse la vie sauve à nos deux personnages, puis, tête basse, repart vers la forêt sans se retourner, de peur de succomber à son instinct.
Notre mère-grand et sa petite-fille, quant à elles, sont devenues immortelles sous la plume de Charles Perrault.
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Ce conte revisité a donné naissance à un dicton :
" Un bienfait n'est jamais perdu. "
Cl. Lopez le 8/04/2017
(*) Chevilette : petite cheville de bois qui bloque une porte de l'intérieur.
Bobinette : pièce de bois mobile qui tombe quand on tire la chevillette et qui libère la porte.
Cherra : du verbe choir (fera tomber la
bobinette).