Chapelet de souvenirs tragi-comiques
Publié le 20 septembre 2017
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*** Jusqu'à l'age de six ans, à la ferme, au Maroc, j'ai vécu en sauvageon, vêtu du strict minimum, toujours pieds nus, avec ma petite bande d'enfants marocains dont Rahal.
À cet âge, l'école est obligatoire, pour les français. La ville la plus proche étant à deux heures de piste et de route, il a fallu que l'on me place en pension.
Un bébé isolé des siens, laché dans un monde totalement inconnu, hostile, indifférent.
*** Premier drame : Je ne savais pas lacer-délacer mes chaussures, (et pour cause).
Je faisais des noeuds que je n'arrivais pas à défaire. Ma solution, couper aux ciseaux, et les enfiler comme des pantoufles. Pas pratique pour courir... pleurs, chagrin.
*** Faire mon lit tous les matins: Impossible ! Le "baptiser" exclu ! La surveillante avait ordre de les défaire entièrement un par un. Cruauté mentale digne de disciples de Machiavel. J'ai mis plusieurs jours, la rage au coeur, pour apprendre sans aide... J'ai fini par y arriver. Fierté!
*** Tous les jeudis douche. Etant le plus petit, je la prenais avec une surveillante...BEURK !
*** Un petit sac de toile contenant nos affaires de toilette faisait partie du trousseau. Maman l'avait oublié. Face à chaque lit, un lavabo individuel. Le soir j'ai trouvé ce sac sur mon étagère, maman avait réparé son oubli ! Que nenni ! c'était celui de mon voisin, déposé là par erreur. M'en étant servi, on m'accusa de vol à six ans, inimaginable. On me punit d' une heure de coin les mains sur la tête.
Incompréhension, fatigue, pleurs, chagrin.
*** Une nuit, j'ai fait pipi au lit, bien que propre depuis longtemps; on m'a revêtu du drap souillé. Une surveillante de l'internat fut désignée pour me promener dans la cour de l'école ainsi accoutré, durant la récréation. Les quolibets et les risées fusaient, la honte me mortifiait ! Haut comme trois pommes, j'ai levé la tête, croisé le regard de mon "cerbère". J'ai vu dans ses yeux, des larmes perler. Brusquement cette jeune femme, m'a arraché ce drap, pris dans ses bras, soulevé et emmené sous le préau. Assise sur une marche d'escalier, elle me serrait contre elle, c'était doux. C'est à ce moment là seulement, que j'ai éclaté en sanglots. Elle me caressait les cheveux, me répétait sans cesse:"- Ne pleure pas mon bébé, c'est fini, c'est fini".
Nous n'avons plus revu cette surveillante à l'internat. Méthodes d'un autre âge.
Chagrin et colère encore aujourd'hui, à cette évocation.
*** Après l'école, nous avions étude, pour faire nos devoirs. Au réfectoire des casiers individuels nous étaient attribués pour ranger nos serviettes de table, et toutes sortes de friandises que nos parents étaient autorisés à nous donner.
Prétextant un besoin pressant, je suis allé " m'approvisionner " en bonbons.
Le cuisinier m'a vu faire.
Je retournais en salle d'études.
Moins d'un quart d'heure plus tard, le mari de la directrice, venait me chercher, me tirant par l'oreille, il me conduisit à son bueau, sous le regard ahuri de toute la classe. " - Pourquoi as-tu volé dans un casier ?" À cet âge, je ne comprenais rien, je restais muet. Les gifles ont commencé à pleuvoir, avec inlassablement la même question. Le sang coulait de mon nez, il finit par me demander: " - Montre-moi ce que tu as volé et où ? " Je sortis mes bonbons, avec le sentiment d'avoir fauté, et, lui indiquais le casier... Il appela le cuisinier en hurlant: " - Sombre crétin, c'est son casier et ses bonbons ! " À l'infirmerie on me soigna, et surtout, mes vêtements furent changés afin d'effacer toutes traces du délit.
Chaque mois, mes parents venaient me voir à l'occasion de leurs achats coutumiers. C'était un rituel, ils me sortaient. Nous allions passer l'après-midi en forêt pour pique-niquer. Je leur racontais ma mésaventure. Je ne les avais jamais vus dans un tel état de colère, eux si courtois, si bons.
Nous sommes retournés à l'internat, maman alla d'emblée voir la directrice. On l'entendait, elle si douce, crier dans tous les étages. Inquiet, j'ai "jeté un oeil" et constaté que, cette femme qui faisait face à ma mère, qu'habituellement nous craignions tellement, tremblait comme une feuille.
Quant-à son mari, je ne sais pas ce qu'il s'est passé avec papa, toujours est-il que j'ai vu, ce Monsieur passer devant moi un mouchoir sur le nez, se diriger d'un pas pressé vers l'infirmerie.
Papa avait simplement appliqué la loi du talion, que je n'ai comprise que des années après.
J'ignorais alors, qu'une décénie plus tard, ce "gougnafier" serait mon prof de maths au lycée.
*** En fin de cours, les après-midi, nous avions droit au goûter, un morceau de pain avec du chocolat. Invariablement, les grands nous "piquaient" notre barre de chocolat. Privation, impuissance.
Cette première année en pension fut cauchemardesque. Je n'ai jamais autant pleuré, surtout la nuit dans mon lit. La douceur des bras de maman me manquait.
À la rentrée suivante, mes sept ans bien affirmés, je n'étais plus un bébé.
Qui plus est, je m'étais développé plus vite que la moyenne de mes camarades. Cela donne confiance.
*** Nos parents nous fournissaient des enveloppes timbrées préparées à leur adresse.
Nos courriers devaient obligatoirement passer ouverts par la direction.
Les jeudis nous partions en rangs, en forêt. La Mamora, au Maroc, Port-lyautey
Kénitra, la plus grande au monde de chênes-liège, dont la particularité est que les glands sont comestibles, leur chair comparable à celle des châtaignes. Nous nous en régalions. J'ai écrit chez moi, en plaisantant, leur faisant croire, que j'en avais tellement mangé, que j' avais eu des coliques.
Pris au pied de la lettre, le jeudi suivant, tous en rangs, prêts à partir, la directrice est intervenue: " - À partir d'aujourd'hui, interdiction formelle de manger des glands, l'élève Claude Lopez en a été malade c'est ce qu'il a fait savoir à ses parents." Un trou de souris eut été le bien-venu.
Par ma faute nous étions tous privés de ce qui faisait notre plaisir. Les reproches se faisaient sentir, j'étais gêné et vexé.
Heureusement nos surveillantes, intelligentes, se rebellèrent, en nous autorisant à ne rien changer à nos habitudes, à condition que cela reste notre jardin secret. Un esprit d'équipe venait de se former. Ce fut la découverte de la confiance dans l'union, face à l'adversité.
Surveillantes et élèves dans un même élan de générosité me réconfortèrent du mieux qu'il est possible.
Ensuite, j'usquà neuf ans, je n'ai pas de souvenirs particuliers. Je me souviens seulement, que j'étais grand et fort pour mon âge. Cela m'a aidé à me faire le défenseur des faibles. C'était dans ma nature.
Toutes les injustices entre élèves, qui m'étaient rapportées, ne se reproduisaient plus sur une simple intervention de ma part.
Le temps avait passé, j'étais un grand maintenant, et les petits n'étaient plus privés de chocolat !
Il est pourtant deux anecdotes qu'il faut que je rapporte ici, qui valent de l'être.
*** À neuf ans, à la fin de chaque journée, nous devions décorer notre cahier du jour d'une frise. Là mon dessin se composait de "Z" entrelacés.
Je m'étais appliqué et le résultat me plaisait.
Le lendemain, dès mon arrivée en classe, je fus brutalement saisi par l'institutrice et frappé avec acharnement. Qu'avais-je fait qui me vaille un tel traitement ? Elle me traina de force chez le directeur, rouge de colère, lui montra ma frise. Il lui dit : " - Je vous comprends Madame, mais ce gosse n'a aucune conscience de ce qu'il a dessiné." Cette femme écroulée, pleurait à chaudes larmes.
Ma frise représentait un alignement de croix gammées, et le mari de cette Dame était mort en déportation.
Au retour des vacances de Pâques, cueillies dans mon jardin, je lui ai offert le plus gros bouquet de fleurs multicolores quelle ait pu recevoir dans sa vie.
" - Maman m'a tout expliqué, je te demande pardon Maîtresse. " Elle me prit dans ses bras et me dévora de bisous. Tous deux nous libérions ainsi nos consciences. La paix fut tacite.
*** Pour ma dernière année en primaire, je tiens à finir sur un souvenir hilarant.
Nos âges étaient de onze ans maximum. Dans notre classe un élève externe d'une quinzaine d'années, dénotant avec l'ensemble, répondait au nom de Ladjaj. Fils d'un notable Marocain, il bénéficiait d'une dérogation.
Sa tenue était la même que la notre, uniforme oblige : Culotte courte, blouse noire à liseré rouge.
Ses jambes nues étaient poilues.
Notre instit' un peu "zinzin" en sport, nous faisait mimer des danses de fillettes. (pour mémoire, école de garçons.)
Voilà à peu près ce que cela donnait... Accrochons-nous et, chantons !!!
" - j'ai la taille bien fai-ê-te et de jolis mollets. Ma longue chevelu-u-re et ma ceinture dorée..."
Il fallait se déhancher et réaliser des effets de coiffure, de jambes et de taille.
L'instit' : - Ladjaj appliquez-vous !!! "
Nous, tordus de rires, de voir cet "hommasse velu !" jouer les fillettes aguichantes. Nous étions écroulés ! Et mon Ladjaj, qui continuait à jouer des gambettes...c'en était trop ! On n'en pouvait plus !
De temps à autre, fusaient encore des : " -Ladjaj appliquez-vous ! " c'était à se taper sur les cuisses ! l'instit' ne nous contrôlait plus et, à son tour, était gagnée par l'hilarité générale. Comment y résister ??? Seul Ladjaj continuait, à s' appliquer, ignorant l'ambiance générale, imperturbable, stoïque. Ce qui décuplait nos rires de folie, on en pleurait !!!
Aujourd'hui quand j'y repense, ces moments là ont adouci mes chagrins.
C'était la dernière perle de mon chapelet à l'école primaire.
Ce sera aussi, mon ultime plongée dans mes souvenirs.
Adios Amigos.
Cl. Lopez le 18 / 09 / 2017