Histoire vécue

Ma folle course pour la vie

Histoire vécue

Ecrit par l'Ordissinaute claudLo

Mon creuset, est une annexe ovoïde où, j'ai été élaboré de façon très complexe.

Je ne suis pas seul, à cet endroit précis, nombre de mes congénères m'y attendent, pour être acheminés par un canal dit déférent, afin d' être stockés dans deux silos où nous sommes maintenant environ 130 millions.

Nous ne savons pas ce qui nous attend, je me concentre. Intuitivement je me prépare à un combat, dans quel but ? je ne le sais pas encore.
Je n'ai pas la notion du temps.

Mais, un jour ou une nuit, impossible de savoir dans l'obscurité totale, nous ressentons un léger balancement, comparable à celui d'une escarpolette.
Au début c'est agréable, mais, cela semble s'éterniser, nous avons tous le coeur au bord des lèvres. C'est la nausée générale.

Enfin cela s'arrête, suivi immédiatement de soubressauts, qui nous bousculent les uns contre les autres.
Une accalmie bienfaisante nous apaise, nous entendons au loin, une espèce de borborygme, une lame de fond qui déferle.

Les balancements reprennent, avec plus d'ardeur, s'accélèrent de plus en plus vite, jusqu'a l'insupportable.

Puis tout s'arrête, les 130 millions dont moi, sommes éjectés avec puissance, nous forçant à passer par un mince conduit, nous déversant dans un tunnel suffisamment long et large, nous offrant enfin un peu d'aisance et de calme.
Hélas! de courte durée.

C'est en effet à ce moment que commence le combat, la lutte, la course pour la vie.

Je viens de comprendre qu'il n'y aura qu'un seul vainqueur, et je compte bien être celui là , sachant que nous partageons tous la même conviction.

Dans ce passage, d'autres m'ont devancé. Il faut que je réagisse, j'agite mon appendice caudale avec frénésie et me retrouve en tête, passant sans ménagement, par dessus mes semblables, épuisés ne pouvant poursuivre. D'autres ont perdu leur organe natatoire et ne peuvent plus avancer.
Pas de pitié ! je fonce, chacun pour soi !

Je sais maintenant quel est mon objectif.
C'est une forteresse, que l'on aperçoit encore très loin.
La tâche ne sera pas aisée, il nous reste encore ce col à franchir qui nous fait si peur.

Nous nous ruons à l'abordage de la forteresse qui, assiégée de toutes parts, cède sous le nombre.
C'est maintenant ou jamais de prouver que je suis le plus fort.
Je me bats, ne ménageant pas mes efforts,  harcelant ce cocon, tant et si bien que je finis par y pénétrer.
Le sort en est jeté, un seul d'entre nous peut occuper l'espace, mes adversaires auront une triste fin, noyés dans un bac à douche.

Quant-à moi, je ne sais pas encore de quoi mon avenir sera fait.

Je sais simplement que mon réceptacle et moi, fusionnant, formons désormais une entité dite "zygote" qui va pendant huit semaines à son tour, évoluer vers un organisme plus abouti, subissant alors, une mue miraculeuse, par divisions cellulaires successives, 2, 4, 8, 16,..ainsi de suite pour aboutir à une masse, connue sous le terme de "morula" qui me conduit à ma nidification.

Je vais désormais évoluer dans une poche emplie d'un liquide, doux chaud et agréable.
Je peux maintenant, entendre des voix, des sons, de la musique, venant de l'extérieur.
Outre qu'elle me protège, cette enveloppe permet un échange de substances nourricières entre ma logeuse et moi.

À la cinquième semaine, un cordon se forme.
Grâce à lui, je vais pouvoir recevoir les nutriments, provenant de l'alimentation de mon hôte, et l'oxygène dont j'ai besoin pour me développer.

Il va falloir que je retienne tout ce processus, si je veux un jour le raconter...!

                                                °°°°°°°

Neuf mois se sont écoulés, depuis le début de ma narration, je sens qu'il se passe quelque chose d'inhabituel à l'extérieur.

J'entends des bruits, des voix, un brouhaha sourd.
Ce col si difficile à franchir à l'aller, s'ouvre lentement, de plus en plus largement, et me permet, voulant satisfaire ma curiosité, d' y passer ma tête.
Ma vue trouble, distingue à peine des êtres que je ne peux classifier, ils échangent dans un langage qui m'est pourtant familier:
" - Elle a le bassin étroit, et notre arrivant est hors normes, faisons attention".
On saisit ma tête "- Poussez madame, poussez, poussez".

Au bout de deux heures de travail, je suis extrait de mon nid confortable.
 Le cordon est coupé.
Un grand escogriffe me saisit par les chevilles, me tenant tête en bas, me claque les fesses.
Je pousse un cri puissant, mes poumons se "déchirent" et me font un mal atroce, j'ignore pourquoi mon vagissement, réjouit tout le monde dans cette chambre.
Je découvre la respiration à l'air libre.

On me mesure et me pèse, on annonce:
" - Félicitations, c'est un magnifique garçon, 54 cm et 4 kg 900 ".

 On me dépose sur la poitrine d'une jeune femme, qui s'adresse à un homme assis à ses côtés sur le lit:
" - Regarde mon chéri comme notre fils est grand, fort et beau, ses yeux sont bleus-gris comme ceux de tous les bébés à leur naissance. Dans six mois leur véritable couleur nous apparaîtra ". ( c'est le vert qui se révèlera )
L' homme très ému, la gorge nouée, a des difficultés à s'exprimer.
Ces deux voix,  pour les avoir souvent entendues in utéro, je les ai identifiées; se sont celles de maman et papa, mes deux premiers mots, appris plus tard.

Un fils,"LE" fils dont il rêvait. Le baiser qu'il donne à maman ayant tant souffert pour me mettre au monde, est la reconnaissance d'un père , fier de ce cadeau à nul autre comparable :
"Tu seras un homme mon fils".

                                                       Cl. Lopez... le 14 /03 /2018